Le lendemain, la splendeur du matin dissipa un peu l’impression de tristesse laissée dans nos esprits par notre première inspection du château de Baskerville. Pendant que je déjeunais avec sir Henry, le soleil éclaira les fenêtres à meneaux, arrachant des teintes d’aquarelle à tous les vitraux armoriés qui les garnissaient ; sous ses rayons dorés, les sombres lambris prenaient l’éclat du bronze. On aurait difficilement reconnu la même pièce qui, la veille, nous avait mis tant de mélancolie à l’âme.
The fresh beauty of the following morning did something to efface from our minds the grim and gray impression which had been left upon both of us by our first experience of Baskerville Hall. As Sir Henry and I sat at breakfast the sunlight flooded in through the high mullioned windows, throwing watery patches of colour from the coats of arms which covered them. The dark panelling glowed like bronze in the golden rays, and it was hard to realize that this was indeed the chamber which had struck such a gloom into our souls upon the evening before.
« Je crois, dit le baronnet, que nous ne devons nous en prendre qu’à nous-mêmes de ce que nous avons éprouvé hier. La maison n’y était pour rien… Le voyagé nous avait fatigués ; notre promenade en voiture nous avait gelés… ; tout cela avait influé sur notre imagination. Ce matin, nous voilà reposés, bien portants et tout nous paraît plus gai.
"I guess it is ourselves and not the house that we have to blame!" said the baronet. "We were tired with our journey and chilled by our drive, so we took a gray view of the place. Now we are fresh and well, so it is all cheerful once more."
— Je ne suis pas de votre avis, répondis-je, en ce qui concerne le jeu de notre imagination. Ainsi n’avez-vous pas entendu quelqu’un — une femme, je crois — pleurer toute la nuit ?
"And yet it was not entirely a question of imagination," I answered. "Did you, for example, happen to hear someone, a woman I think, sobbing in the night?"
— Oui, dans un demi-sommeil, il me semble bien avoir entendu ce bruit. J’ai écouté un instant ; mais, le silence s’étant rétabli, j’en ai conclu que je rêvais.
"That is curious, for I did when I was half asleep fancy that I heard something of the sort. I waited quite a time, but there was no more of it, so I concluded that it was all a dream."
— Moi, je l’ai perçu très distinctement et je jurerais que c’étaient des gémissements de femme…. Il faut que nous éclaircissions ce fait. »
"I heard it distinctly, and I am sure that it was really the sob of a woman."
Sir Henry sonna Barrymore et lui demanda quelques explications. Aux questions de son maître, je crus voir le visage, déjà pâle, du valet de chambre, pâlir encore davantage.
"We must ask about this right away." He rang the bell and asked Barrymore whether he could account for our experience. It seemed to me that the pallid features of the butler turned a shade paler still as he listened to his master's question.
« Il n’y a que deux femmes dans la maison, sir Henry, dit-il : la fille de cuisine, qui couche dans l’autre aile du château, et ma femme. Or, je puis vous affirmer qu’elle est absolument étrangère au bruit dont vous parlez. »
"There are only two women in the house, Sir Henry," he answered. "One is the scullery-maid, who sleeps in the other wing. The other is my wife, and I can answer for it that the sound could not have come from her."
Le domestique mentait certainement, car, après le déjeuner, je rencontrai Mme Barrymore dans le corridor. Elle se trouvait en pleine lumière. C’était une grande femme, impassible, aux traits accentués, ayant, sur les lèvres, un pli amer ; Elle avait les yeux rouges et, à travers ses paupières gonflées, son regard se posa sur moi. Elle avait dû pleurer toute la nuit, et, s’il en était ainsi, son mari ne pouvait l’ignorer. Alors pourquoi avait-il accepté le risque de cette découverte en déclarant le contraire ? Pourquoi ce ton affirmatif ? Et pourquoi — surtout — sa femme pleurait-elle si convulsivement ? Déjà une atmosphère de mystère et d’obscurité se formait autour de cet homme au teint pâle, porteur d’une superbe barbe noire. N’était-ce pas lui qui, le premier, avait découvert le cadavre de sir Charles Baskerville ? N’était-il pas le seul témoin qui pût nous renseigner sur les circonstances de la mort du vieux gentilhomme ? Qu’y avait-il d’impossible à ce qu’il fût le voyageur entrevu dans le cab, à Londres ? Sa barbe ressemblait étonnamment à celle de l’inconnu. Le cocher nous avait bien dépeint son client comme un homme plutôt petit…. Mais ne pouvait-il pas s’être trompé ? Comment tirer cette affaire au clair ? Évidemment le plus pressé était d’interroger le directeur du bureau de poste de Grimpen et de savoir si le télégramme adressé à Barrymore lui avait été remis en mains propres. Quelle que fût la réponse, j’aurais au moins un détail à communiquer à Sherlock Holmes.
And yet he lied as he said it, for it chanced that after breakfast I met Mrs. Barrymore in the long corridor with the sun full upon her face. She was a large, impassive, heavy-featured woman with a stern set expression of mouth. But her tell-tale eyes were red and glanced at me from between swollen lids. It was she, then, who wept in the night, and if she did so her husband must know it. Yet he had taken the obvious risk of discovery in declaring that it was not so. Why had he done this? And why did she weep so bitterly? Already round this pale-faced, handsome, black-bearded man there was gathering an atmosphere of mystery and of gloom. It was he who had been the first to discover the body of Sir Charles, and we had only his word for all the circumstances which led up to the old man's death. Was it possible that it was Barrymore after all whom we had seen in the cab in Regent Street? The beard might well have been the same. The cabman had described a somewhat shorter man, but such an impression might easily have been erroneous. How could I settle the point forever? Obviously the first thing to do was to see the Grimpen postmaster, and find whether the test telegram had really been placed in Barrymore's own hands. Be the answer what it might, I should at least have something to report to Sherlock Holmes.
Sir Henry avait de nombreux documents à compulser ; je mis à profit ce temps pour exécuter mon projet. Une promenade très agréable sur la lande me conduisit à un petit hameau au milieu duquel s’élevaient deux constructions de meilleure apparence que les autres. L’une était l’auberge ; l’autre, la maison du docteur Mortimer. Le directeur de la poste, qui se livrait également au commerce de l’épicerie, se souvenait fort bien du télégramme.
Sir Henry had numerous papers to examine after breakfast, so that the time was propitious for my excursion. It was a pleasant walk of four miles along the edge of the moor, leading me at last to a small gray hamlet, in which two larger buildings, which proved to be the inn and the house of Dr. Mortimer, stood high above the rest. The postmaster, who was also the village grocer, had a clear recollection of the telegram.
« Certainement, monsieur, me dit-il, on a remis la dépêche à Barrymore, ainsi que l’indiquait l’adresse.
"Certainly, sir," said he, "I had the telegram delivered to Mr. Barrymore exactly as directed."
— Qui l’a remise ?
"Who delivered it?"
— Mon fils, ici présent. » Le fonctionnaire épicier interpella un gamin qui baguenaudait dans un coin. « James, demanda-t-il, la semaine dernière, tu as bien remis une dépêche à M. Barrymore ?
"My boy here. James, you delivered that telegram to Mr. Barrymore at the Hall last week, did you not?"
— Oui, papa.
"Yes, father, I delivered it."
— À M. Barrymore lui-même ? insistai-je.
"Into his own hands?" I asked.
— À ce moment-là, il était au grenier et je n’ai pu la donner à lui-même ; mais je l’ai remise à Mme Barrymore, qui m’a promis de la lui porter aussitôt.
"Well, he was up in the loft at the time, so that I could not put it into his own hands, but I gave it into Mrs. Barrymore's hands, and she promised to deliver it at once."
— As-tu vu M. Barrymore ?
"Did you see Mr. Barrymore?"
— Non, monsieur ; je vous ai dit qu’il était au grenier.
"No, sir; I tell you he was in the loft."
— Puisque tu ne l’as pas vu, comment sais-tu qu’il se trouvait au grenier ?
"If you didn't see him, how do you know he was in the loft?"
— Sa femme devait savoir où il était, intervint le directeur de la poste. N’aurait-il pas reçu le télégramme ? S’il y a erreur, que M. Barrymore se plaigne ! »
"Well, surely his own wife ought to know where he is," said the postmaster testily. "Didn't he get the telegram? If there is any mistake it is for Mr. Barrymore himself to complain."
Il me semblait inutile de poursuivre plus loin mon enquête. Ainsi, malgré la ruse inventée par Sherlock Holmes, nous n’avions pas acquis la preuve du séjour de Barrymore au château pendant la semaine précédente. Supposons le contraire…, Supposons que l’homme qui, le dernier, avait vu sir Charles vivant, ait été le premier à espionner son héritier dès son arrivée eu Angleterre. Alors, quoi ? Était il l’instrument de quelqu’un ou nourrissait-il de sinistres projets pour son propre compte ? Quel Intérêt avait il à persécuter la famille Baskerville ? Je pensai à l’étrange avertissement découpé dans les colonnes du Times. Était-ce l’œuvre de Barrymore ou bien celle d’un tiers qui s’évertuait à contrecarrer ses desseins ? Sir Henry avait émis la version la plus plausible : si on éloignait les Baskerville du château, Barrymore et sa femme y trouveraient un gîte confortable et pour un temps indéfini. Certes, une semblable explication ne suffisait pas pour justifier le plan qui paraissait enserrer le baronnet comme dans les mailles d’un invisible filet. Holmes lui-même avait convenu que jamais, au cours de ses sensationnelles enquêtes, on ne lui avait soumis de cas plus complexe. Tout en retournant au château par cette route solitaire, je faisais des vœux pour que mon ami, enfin débarrassé de ses préoccupations, revînt vite me relever de la lourde responsabilité qui pesait sur moi.
It seemed hopeless to pursue the inquiry any farther, but it was clear that in spite of Holmes's ruse we had no proof that Barrymore had not been in London all the time. Suppose that it were so--suppose that the same man had been the last who had seen Sir Charles alive, and the first to dog the new heir when he returned to England. What then? Was he the agent of others or had he some sinister design of his own? What interest could he have in persecuting the Baskerville family? I thought of the strange warning clipped out of the leading article of the Times. Was that his work or was it possibly the doing of someone who was bent upon counteracting his schemes? The only conceivable motive was that which had been suggested by Sir Henry, that if the family could be scared away a comfortable and permanent home would be secured for the Barrymores. But surely such an explanation as that would be quite inadequate to account for the deep and subtle scheming which seemed to be weaving an invisible net round the young baronet. Holmes himself had said that no more complex case had come to him in all the long series of his sensational investigations. I prayed, as I walked back along the gray, lonely road, that my friend might soon be freed from his preoccupations and able to come down to take this heavy burden of responsibility from my shoulders.
Soudain je fus tiré de mes réflexions par un bruit de pas. Quelqu’un courait derrière moi, en m’appelant par mon nom. Croyant voir le docteur Mortimer, je me retournai ; mais, à ma grande surprise, un inconnu me poursuivait. J’aperçus un homme de taille moyenne, mince, élancé, blond, la figure rasée, âgé de trente-cinq ans environ, vêtu d’un complet gris et coiffé d’un chapeau de paille. Il portait sur le dos la boîte en fer-blanc des naturalistes et tenait à la main un grand filet vert à papillons.
Suddenly my thoughts were interrupted by the sound of running feet behind me and by a voice which called me by name. I turned, expecting to see Dr. Mortimer, but to my surprise it was a stranger who was pursuing me. He was a small, slim, clean-shaven, prim-faced man, flaxen-haired and lean-jawed, between thirty and forty years of age, dressed in a gray suit and wearing a straw hat. A tin box for botanical specimens hung over his shoulder and he carried a green butterfly-net in one of his hands.
« Je vous prie d’excuser mon indiscrétion, docteur Watson, dit-il, en s’arrêtant tout haletant devant moi. Sur la lande, pas n’est besoin des présentations ordinaires. Mortimer, notre ami commun, a dû vous parler de moi…. Je suis Stapleton, de Merripit house.
"You will, I am sure, excuse my presumption, Dr. Watson," said he, as he came panting up to where I stood. "Here on the moor we are homely folk and do not wait for formal introductions. You may possibly have heard my name from our mutual friend, Mortimer. I am Stapleton, of Merripit House."
— Votre filet et votre boîte me l’auraient appris, répliquai-je, car je sais que M. Stapleton est un savant naturaliste. Mais comment me connaissez-vous ?
"Your net and box would have told me as much," said I, "for I knew that Mr. Stapleton was a naturalist. But how did you know me?"
— Je suis allé faire une visite à Mortimer et, tandis que vous passiez sur la route, il vous a montré à moi par la fenêtre de son cabinet. Comme nous suivions le même chemin, j’ai pensé que je vous rattraperais et que je me présenterais moi-même. J’aime à croire que le voyage n’a pas trop fatigué sir Henry ?
"I have been calling on Mortimer, and he pointed you out to me from the window of his surgery as you passed. As our road lay the same way I thought that I would overtake you and introduce myself. I trust that Sir Henry is none the worse for his journey?"
— Non, merci ; il est en excellente santé.
"He is very well, thank you."
— Tout le monde ici redoutait qu’après la mort de sir Charles le nouveau baronnet ne vînt pas habiter le château. C’est beaucoup demander à un homme jeune et riche de s’enterrer dans un pareil endroit, et je n’ai pas à vous dire combien cette question intéressait la contrée ; sir Henry, je suppose, ne partage par les craintes superstitieuses du populaire ?
"We were all rather afraid that after the sad death of Sir Charles the new baronet might refuse to live here. It is asking much of a wealthy man to come down and bury himself in a place of this kind, but I need not tell you that it means a very great deal to the country-side. Sir Henry has, I suppose, no superstitious fears in the matter?"
— Je ne le pense pas.
"I do not think that it is likely."
— Vous connaissez certainement la légende de ce maudit chien que l’on accuse d’être le fléau de la famille ?
"Of course you know the legend of the fiend dog which haunts the family?"
— On me l’a contée.
"I have heard it."
— Les paysans de ces parages sont extraordinairement crédules. Beaucoup jureraient avoir rencontré sur la lande ce fantastique animal. » Stapleton parlait, le sourire sur les lèvres, mais il me sembla lire dans ses yeux qu’il prenait la chose plus au sérieux. Il reprit : « Cette histoire hantait l’imagination de sir Charles, et je suis sûr qu’elle n’a pas été étrangère à sa fin tragique.
"It is extraordinary how credulous the peasants are about here! Any number of them are ready to swear that they have seen such a creature upon the moor." He spoke with a smile, but I seemed to read in his eyes that he took the matter more seriously. "The story took a great hold upon the imagination of Sir Charles, and I have no doubt that it led to his tragic end."
— Comment cela ?
"But how?"
— Ses nerfs étaient tellement exacerbés que l’apparition d’un chien quelconque devait produire un effet désastreux sur son cœur, mortellement atteint. J’imagine qu’il a réellement vu quelque chose de ce genre dans sa dernière promenade, le long de l’allée des Ifs. J’appréhendais sans cesse un malheur, car j’aimais beaucoup sir Charles et je lui savais le cœur très malade.
"His nerves were so worked up that the appearance of any dog might have had a fatal effect upon his diseased heart. I fancy that he really did see something of the kind upon that last night in the Yew Alley. I feared that some disaster might occur, for I was very fond of the old man, and I knew that his heart was weak."
— Comment l’aviez-vous appris ?
"How did you know that?"
— Par mon ami, le docteur Mortimer.
"My friend Mortimer told me."
— Alors vous croyez qu’un chien a poursuivi sir Charles et que la peur a occasionné sa mort ?
"You think, then, that some dog pursued Sir Charles, and that he died of fright in consequence?"
— Pouvez-vous me fournir une meilleure explication ?
"Have you any better explanation?"
— Il ne m’appartient pas de conclure.
"I have not come to any conclusion."
— Quelle est l’opinion de M. Sherlock Holmes ? »
"Has Mr. Sherlock Holmes?"
Pendant quelques secondes, cette question me coupa la parole. Mais un regard sur la figure placide et sur les yeux assurés de mon compagnon me montra qu’elle ne cachait aucune arrière-pensée
The words took away my breath for an instant, but a glance at the placid face and steadfast eyes of my companion showed that no surprise was intended.
« Nous essayerions vainement de prétendre que nous ne vous connaissons pas, docteur Watson, continua Stapleton. Les hauts faits de votre ami le détective sont parvenus jusqu’à nous et vous ne pouviez les célébrer sans vous rendre vous-même populaire. Lorsque Mortimer vous a nommé, j’ai aussitôt établi votre identité. Vous êtes ici parce que M. Sherlock Holmes s’intéresse à l’affaire, et je suis bien excusable de chercher à connaître son opinion.
"It is useless for us to pretend that we do not know you, Dr. Watson," said he. "The records of your detective have reached us here, and you could not celebrate him without being known yourself. When Mortimer told me your name he could not deny your identity. If you are here, then it follows that Mr. Sherlock Holmes is interesting himself in the matter, and I am naturally curious to know what view he may take."
— Je regrette de n’être pas en mesure de répondre à cette question.
"I am afraid that I cannot answer that question."
— Puis-je au moins vous demander s’il nous honorera d’une visite ?
"May I ask if he is going to honour us with a visit himself?"
— D’autres enquêtes le retiennent à la ville en ce moment.
"He cannot leave town at present. He has other cases which engage his attention."
— Quel malheur ! Il jetterait un peu de lumière sur tout ce qui reste si obscur pour nous. Quant à vos recherches personnelles, si vous jugez que je vous sois de quelque utilité, j’espère que vous n’hésiterez pas à user de moi. Si vous m’indiquiez seulement la nature de vos soupçons ou de quel côté vous allez pousser vos investigations, il me serait possible de vous donner dès maintenant un avis ou une aide.
"What a pity! He might throw some light on that which is so dark to us. But as to your own researches, if there is any possible way in which I can be of service to you I trust that you will command me. If I had any indication of the nature of your suspicions or how you propose to investigate the case, I might perhaps even now give you some aid or advice."
— Je vous affirme que je suis simplement en visite chez mon ami sir Henry et que je n’ai besoin d’aide d’aucune sorte.
"I assure you that I am simply here upon a visit to my friend, Sir Henry, and that I need no help of any kind."
— Parfait ! dit Stapleton. Vous avez raison de vous montrer prudent et circonspect. Je regrette de vous avoir adressé cette question indiscrète, et je vous promets de m’abstenir dorénavant de la plus légère allusion à ce sujet. »
"Excellent!" said Stapleton. "You are perfectly right to be wary and discreet. I am justly reproved for what I feel was an unjustifiable intrusion, and I promise you that I will not mention the matter again."
Nous étions arrivés à un endroit où un étroit sentier tapissé de mousse se branchait sur la route pour traverser ensuite la lande. Sur la droite, un monticule escarpé, caillouteux, avait dû être exploité autrefois comme carrière de granit. Le versant qui nous faisait face était taillé à pic ; dans les anfractuosités de la roche, poussaient des fougères et des ronces. Dans le lointain, un panache de fumée montait perpendiculairement dans le ciel.
We had come to a point where a narrow grassy path struck off from the road and wound away across the moor. A steep, boulder-sprinkled hill lay upon the right which had in bygone days been cut into a granite quarry. The face which was turned towards us formed a dark cliff, with ferns and brambles growing in its niches. From over a distant rise there floated a gray plume of smoke.
« Quelques minutes de marche dans ce sentier perdu nous conduiront à Merripit house, dit Stapleton. Voulez-vous me consacrer une heure ?… Je vous présenterai à ma sœur. »
"A moderate walk along this moor-path brings us to Merripit House," said he. "Perhaps you will spare an hour that I may have the pleasure of introducing you to my sister."
Mon premier mouvement fut de refuser. Mon devoir me commandait de retourner auprès de sir Henry. Mais je me souvins de l’amas de papiers qui recouvrait sa table et je me dis que je ne lui étais d’aucun secours pour les examiner. D’ailleurs Holmes ne m’avait-il pas recommandé d’étudier tous les habitants de la lande ? J’acceptai donc l’invitation de Stapleton et nous nous engageâmes dans le petit chemin.
My first thought was that I should be by Sir Henry's side. But then I remembered the pile of papers and bills with which his study table was littered. It was certain that I could not help with those. And Holmes had expressly said that I should study the neighbours upon the moor. I accepted Stapleton's invitation, and we turned together down the path.
« Quel endroit merveilleux que la lande ! dit mon compagnon, en jetant un regard circulaire sur les ondulations de la montagne qui ressemblaient à de gigantesques vagues de granit. On ne se lasse jamais du spectacle qu’elle offre à l’œil de l’observateur. Vous ne pouvez imaginer quels secrets étonnants cache cette solitude !… Elle est si vaste, si dénudée, si mystérieuse !
"It is a wonderful place, the moor," said he, looking round over the undulating downs, long green rollers, with crests of jagged granite foaming up into fantastic surges. "You never tire of the moor. You cannot think the wonderful secrets which it contains. It is so vast, and so barren, and so mysterious."
— Vous la connaissez donc bien ?
"You know it well, then?"
— Je ne suis ici que depuis deux ans. Les gens du pays me considèrent comme un nouveau venu…. Nous nous y installâmes peu de temps après l’arrivée de sir Charles…. Mes goûts me portèrent à explorer la contrée jusque dans ses plus petits recoins…. Je ne pense pas qu’il existe quelqu’un qui la connaisse mieux que moi.
"I have only been here two years. The residents would call me a newcomer. We came shortly after Sir Charles settled. But my tastes led me to explore every part of the country round, and I should think that there are few men who know it better than I do."
— Est-ce donc si difficile ?
"Is it hard to know?"
— Très difficile. Voyez-vous, par exemple, cette grande plaine, là-bas, vers le nord, avec ces proéminences bizarres ? Qu’y trouvez-vous de remarquable ?
"Very hard. You see, for example, this great plain to the north here with the queer hills breaking out of it. Do you observe anything remarkable about that?"
— On y piquerait un fameux galop.
"It would be a rare place for a gallop."
— Naturellement, vous deviez me répondre cela…. Que de vies humaines cette erreur n’a-t-elle pas déjà coûté ? Apercevez-vous ces places vertes disséminées à sa surface ?
"You would naturally think so and the thought has cost several their lives before now. You notice those bright green spots scattered thickly over it?"
— Le sol paraît y être plus fertile. »
"Yes, they seem more fertile than the rest."
Stapleton se mit à rire.
Stapleton laughed.
« C’est la grande fondrière de Grimpen, fit-il. Là-bas, un faux pas conduit à une mort certaine — homme ou bête. Pas plus tard qu’hier, j’ai vu s’y engager un des chevaux qui errent sur la lande. Il n’en est plus ressorti…. Pendant un moment, sa tête s’est agitée au-dessus de la vase, puis le bourbier l’a aspiré ! On ne la traverse pas sans danger dans la saison sèche ; mais après la saison d’automne, l’endroit est terriblement dangereux. Et cependant je puis m’y promener en tous sens et en sortir sans encombre. Tenez ! voilà encore un de ces malheureux chevaux ! »
"That is the great Grimpen Mire," said he. "A false step yonder means death to man or beast. Only yesterday I saw one of the moor ponies wander into it. He never came out. I saw his head for quite a long time craning out of the bog-hole, but it sucked him down at last. Even in dry seasons it is a danger to cross it, but after these autumn rains it is an awful place. And yet I can find my way to the very heart of it and return alive. By George, there is another of those miserable ponies!"
Une forme brune allait et venait au milieu des ajoncs. Tout à coup, une encolure se dressa, en même temps qu’un hennissement lugubre réveilla tous les échos de la lande. Je me sentis frissonner de terreur ; mais les nerfs de mon compagnon me parurent beaucoup moins impressionnables que les miens.
Something brown was rolling and tossing among the green sedges. Then a long, agonized, writhing neck shot upward and a dreadful cry echoed over the moor. It turned me cold with horror, but my companion's nerves seemed to be stronger than mine.
« C’est fini ! me dit-il. La fondrière s’en est emparée…. Cela fait deux en deux jours !… Et ils seront suivis de bien d’autres. Pendant la sécheresse, ils ont l’habitude d’aller brouter de ce côté, et, lorsqu’ils s’aperçoivent que le sol est devenu moins consistant, la fondrière les a déjà saisis.
"It's gone!" said he. "The mire has him. Two in two days, and many more, perhaps, for they get in the way of going there in the dry weather, and never know the difference until the mire has them in its clutches. It's a bad place, the great Grimpen Mire."
— Et vous dites que vous pouvez vous y aventurer ?
"And you say you can penetrate it?"
— Oui. Il existe un ou deux sentiers dans lesquels un homme courageux peut se risquer…. Je les ai découverts.
"Yes, there are one or two paths which a very active man can take. I have found them out."
— Quel désir vous poussait donc à pénétrer dans un lieu si terrible ?
"But why should you wish to go into so horrible a place?"
— Regardez ces monticules — au delà ! Ils représentent de vrais îlots de verdure découpés dans l’immensité de la fondrière. C’est là qu’on rencontre les plantes rares et les papillons peu communs… Si le cœur vous dit d’aller les y chercher ?…
"Well, you see the hills beyond? They are really islands cut off on all sides by the impassable mire, which has crawled round them in the course of years. That is where the rare plants and the butterflies are, if you have the wit to reach them."
— Quelque jour j’essayerai. »
"I shall try my luck some day."
Stapleton me regarda avec étonnement :
He looked at me with a surprised face.
« Au nom du ciel, s’écria-t-il, abandonnez ce funeste projet ! Je vous affirme que vous n’avez pas la plus petite chance de vous tirer de là vivant. Je n’y parviens qu’en me servant de points de repère très compliqués.
"For God's sake put such an idea out of your mind," said he. "Your blood would be upon my head. I assure you that there would not be the least chance of your coming back alive. It is only by remembering certain complex landmarks that I am able to do it."
— Hein ? fis-je…. Qu’y a-t-il encore ? »
"Halloa!" I cried. "What is that?"
Un long gémissement, indiciblement triste, courut mur la lande. Bien qu’il eût ébranlé l’air, il était impossible de préciser d’où il venait. Commencé sur une modulation sourde, semblable à un murmure, il se changea en un profond rugissement, pour finir en un nouveau murmure, mélancolique, poignant.
A long, low moan, indescribably sad, swept over the moor. It filled the whole air, and yet it was impossible to say whence it came. From a dull murmur it swelled into a deep roar, and then sank back into a melancholy, throbbing murmur once again. Stapleton looked at me with a curious expression in his face.
« Hé ! curieux endroit, la lande ! répéta Stapleton.
"Queer place, the moor!" said he.
— Qu’était-ce donc ?
"But what is it?"
— Les paysans prétendent que c’est le chien de Baskerville qui hurle pour attirer sa proie. Je l’ai déjà entendu une ou deux fois, mais jamais aussi distinctement. »
"The peasants say it is the Hound of the Baskervilles calling for its prey. I've heard it once or twice before, but never quite so loud."
Avec un tressaillement de crainte au fond du cœur, je regardai cette vaste étendue de plaine, mouchetée de larges taches vertes formées par les ajoncs. Sauf deux corbeaux qui croassaient lugubrement sur la cime d’un pic, une immobilité de mort régnait partout.
I looked round, with a chill of fear in my heart, at the huge swelling plain, mottled with the green patches of rushes. Nothing stirred over the vast expanse save a pair of ravens, which croaked loudly from a tor behind us.
« Vous êtes un homme instruit, dis-je, vous ne pouvez croire à de pareilles balivernes ! À quelle cause attribuez-vous ce bruit étrange ?
"You are an educated man. You don't believe such nonsense as that?" said I. "What do you think is the cause of so strange a sound?"
— Les fondrières rendent parfois des sons bizarres, inexplicables…. La boue se tasse… l’eau sourd ou quelque chose….
"Bogs make queer noises sometimes. It's the mud settling, or the water rising, or something."
— Non, non, répondis-je ; c’était une voix humaine.
"No, no, that was a living voice."
— Peut-être bien, répondit Stapleton. Avez-vous jamais entendu s’envoler un butor ?
"Well, perhaps it was. Did you ever hear a bittern booming?"
— Non, jamais.
"No, I never did."
— C’est un oiseau très rare — à peu près complètement disparu de l’Angleterre — mais, dans la lande, rien n’est impossible. Oui, je ne serais pas étonné d’apprendre que c’est le cri du dernier butor qui vient de frapper nos oreilles.
"It's a very rare bird--practically extinct--in England now, but all things are possible upon the moor. Yes, I should not be surprised to learn that what we have heard is the cry of the last of the bitterns."
— Quel bruit étrange !…
"It's the weirdest, strangest thing that ever I heard in my life."
— Ce pays est plein de surprises. Regardez le flanc de la colline…. Que croyez-vous apercevoir ? »
"Yes, it's rather an uncanny place altogether. Look at the hill- side yonder. What do you make of those?"
Je vis une vingtaine de tas de pierres grises amoncelées circulairement.
The whole steep slope was covered with gray circular rings of stone, a score of them at least.
« Je ne sais pas…. Des abris de bergers ?
"What are they? Sheep-pens?"
— Non. Nos dignes ancêtres habitaient là. L’homme préhistorique vivait sur la lande et comme, depuis cette époque, personne ne l’a imité, nous y retrouvons encore presque intacts les vestiges de son passage. Ceci vous représente des wigwams recouverts de leur toiture. Si la curiosité vous prenait de les visiter, vous y verriez un foyer, une couchette….
"No, they are the homes of our worthy ancestors. Prehistoric man lived thickly on the moor, and as no one in particular has lived there since, we find all his little arrangements exactly as he left them. These are his wigwams with the roofs off. You can even see his hearth and his couch if you have the curiosity to go inside.
— On dirait une petite ville. À quelle époque était-elle peuplée ?
"But it is quite a town. When was it inhabited?"
— L’homme néolithique,… la date nous manque.
"Neolithic man--no date."
— Que faisait-il ?
"What did he do?"
— Il menait paître son troupeau sur les pentes et, lorsque les armes de bronze remplacèrent les haches de pierre, il fouillait les entrailles de la terre à la recherche du zinc. Voyez cette grande tranchée sur la colline opposée…. Voilà la preuve de ce que j’avance. Ah ! vous rencontrerez de bien curieux sujets d’étude sur la lande ! Excusez-moi un instant, docteur Watson,… c’est sûrement un cyclopelte !… »
"He grazed his cattle on these slopes, and he learned to dig for tin when the bronze sword began to supersede the stone axe. Look at the great trench in the opposite hill. That is his mark. Yes, you will find some very singular points about the moor, Dr. Watson. Oh, excuse me an instant! It is surely Cyclopides."
Un petit insecte avait traversé le chemin et Stapleton s’était aussitôt élancé à sa poursuite. À mon grand désappointement, la bestiole vola droit vers la fondrière, et ma nouvelle connaissance, bondissant de touffe en touffe, courait après elle, son grand filet vert se balançant dans l’air. Ses vêtements gris, sa démarche irrégulière, sautillante, saccadée, le faisaient ressembler lui-même à une gigantesque phalène. Je m’étais arrêté pour suivre sa chasse, et j’éprouvais un mélange d’admiration pour son extraordinaire agilité et de crainte pour le danger auquel il l’exposait dans cette perfide fondrière. Un bruit de pas me fit retourner ; une femme s’avançait vers moi dans le chemin. Elle venait du côté où le panache de fumée dénonçait l’emplacement de Merripit house ; mais la courbure de la lande l’avait cachée à mes yeux jusqu’au moment où elle se trouva près de moi.
A small fly or moth had fluttered across our path, and in an instant Stapleton was rushing with extraordinary energy and speed in pursuit of it. To my dismay the creature flew straight for the great mire, and my acquaintance never paused for an instant, bounding from tuft to tuft behind it, his green net waving in the air. His gray clothes and jerky, zigzag, irregular progress made him not unlike some huge moth himself. I was standing watching his pursuit with a mixture of admiration for his extraordinary activity and fear lest he should lose his footing in the treacherous mire, when I heard the sound of steps, and turning round found a woman near me upon the path. She had come from the direction in which the plume of smoke indicated the position of Merripit House, but the dip of the moor had hid her until she was quite close.
Je reconnus en elle miss Stapleton dont on m’avait parlé. Cela me fut aisé, car, indépendamment du petit nombre de femmes qui vivent sur la lande, on me l’avait dépeinte comme une personne d’une réelle beauté. La femme qui s’approchait de moi répondait au portrait qu’on m’avait tracé de la sœur du naturaliste. Impossible de concevoir un plus grand contraste entre un frère et une sœur. Stapleton était quelconque, avec ses cheveux blonds et ses yeux gris, tandis que la jeune fille avait ce teint chaud des brunes — si rare en Angleterre. Son visage un peu altier, mais finement modelé, aurait paru impassible dans sa régularité, sans l’expression sensuelle de la bouche et la vivacité de deux yeux noirs largement fendus. Sa taille parfaite, moulée dans une robe de coupe élégante, la faisait ressembler, sur ce chemin désert, à une étrange apparition. Au moment où je me retournais, elle regardait son frère. Alors elle hâta le pas. J’avais ôté mon chapeau et j’allais prononcer quelques mots d’explication, lorsque ses paroles imprimèrent une autre direction à mes pensées.
I could not doubt that this was the Miss Stapleton of whom I had been told, since ladies of any sort must be few upon the moor, and I remembered that I had heard someone describe her as being a beauty. The woman who approached me was certainly that, and of a most uncommon type. There could not have been a greater contrast between brother and sister, for Stapleton was neutral tinted, with light hair and gray eyes, while she was darker than any brunette whom I have seen in England--slim, elegant, and tall. She had a proud, finely cut face, so regular that it might have seemed impassive were it not for the sensitive mouth and the beautiful dark, eager eyes. With her perfect figure and elegant dress she was, indeed, a strange apparition upon a lonely moorland path. Her eyes were on her brother as I turned, and then she quickened her pace towards me. I had raised my hat and was about to make some explanatory remark, when her own words turned all my thoughts into a new channel.
« Allez-vous-en ! s’écria-t-elle. Retournez vite à Londres. »
"Go back!" she said. "Go straight back to London, instantly."
Si grande fut ma surprise, que j’en demeurai stupide. En me regardant, ses yeux brillaient et son pied frappait le sol avec impatience.
I could only stare at her in stupid surprise. Her eyes blazed at me, and she tapped the ground impatiently with her foot.
« Pourquoi m’en aller ? demandai-je.
"Why should I go back?" I asked.
— Je ne puis vous le dire. » Elle parlait d’une voix basse, précipitée, avec un léger grasseyement dans sa prononciation. Elle reprit : « Pour l’amour de Dieu, faites ce que je vous recommande. Retournez vite et ne remettez jamais plus les pieds sur la lande !
"I cannot explain." She spoke in a low, eager voice, with a curious lisp in her utterance. "But for God's sake do what I ask you. Go back and never set foot upon the moor again."
— Mais j’arrive à peine.
"But I have only just come."
— Pourquoi ne tenir aucun compte d’un avertissement dicté par votre seul intérêt ?… Retournez à Londres !… Partez ce soir même…. Fuyez ces lieux à tout prix !… Prenez garde ! Voici mon frère,… pas un mot de ce que je vous ai dit…. Soyez donc assez aimable pour me cueillir cette orchidée, là-bas…. La lande est très riche en orchidées… vous en jugerez par vous-même, bien que vous soyez venu à une saison trop avancée pour jouir de toutes les beautés de la nature. » .
"Man, man!" she cried. "Can you not tell when a warning is for your own good? Go back to London! Start to-night! Get away from this place at all costs! Hush, my brother is coming! Not a word of what I have said. Would you mind getting that orchid for me among the mares-tails yonder? We are very rich in orchids on the moor, though, of course, you are rather late to see the beauties of the place."
Stapleton avait renoncé à sa poursuite et retournait vers nous, essoufflé, et le teint coloré par la course.
Stapleton had abandoned the chase and came back to us breathing hard and flushed with his exertions.
« Eh bien, Béryl ? » dit-il. Il me sembla que le ton de cette interpellation manquait de cordialité.
"Halloa, Beryl!" said he, and it seemed to me that the tone of his greeting was not altogether a cordial one.
« Vous avez bien chaud, Jack.
"Well, Jack, you are very hot."
— Oui ; je poursuivais un cyclopelte. Ils sont très rares, surtout à la fin de l’automne. Quel malheur de n’avoir pu l’attraper ! » Il parlait avec un air dégagé, mais ses petits yeux gris allaient sans cesse de la jeune fille à moi.
"Yes, I was chasing a Cyclopides. He is very rare and seldom found in the late autumn. What a pity that I should have missed him!" He spoke unconcernedly, but his small light eyes glanced incessantly from the girl to me.
« Je vois que les présentations sont faites, continua-t-il.
"You have introduced yourselves, I can see."
— Oui. Je disais à sir Henry qu’il était un peu tard pour admirer les beautés de la lande.
"Yes. I was telling Sir Henry that it was rather late for him to see the true beauties of the moor."
— À qui penses-tu donc parler ?
"Why, who do you think this is?"
— À sir Henry Baskerville.
"I imagine that it must be Sir Henry Baskerville."
— Non, non, me récriai-je vivement,… pas à sir Henry, mais à un simple bourgeois, son ami…. Je me nomme le docteur Watson. »
"No, no," said I. "Only a humble commoner, but his friend. My name is Dr. Watson."
Une expression de contrariété passa sur le visage de miss Stapleton. « Nous avons joué aux propos interrompus, dit-elle.
A flush of vexation passed over her expressive face. "We have been talking at cross purposes," said she.
— Vous n’avez pas eu le temps d’échanger beaucoup de paroles ? demanda son frère, avec son même regard interrogateur.
"Why, you had not very much time for talk," her brother remarked with the same questioning eyes.
— J’ai causé avec le docteur Watson, comme si, au lieu d’un simple visiteur, il eût été un habitant permanent de la lande.
— Que peut lui importer que la saison soit trop avancée pour les orchidées !… Nous ferez-vous le plaisir de nous accompagner jusqu’à Merripit house ? » ajouta le naturaliste, en se tournant vers moi.
"I talked as if Dr. Watson were a resident instead of being merely a visitor," said she. "It cannot much matter to him whether it is early or late for the orchids. But you will come on, will you not, and see Merripit House?"
Quelques instants après, nous arrivions à une modeste maison ayant autrefois servi d’habitation à un herbager de la lande, mais que l’on avait réparée depuis et modernisée. Un verger l’entourait. Les arbres, comme tous ceux de la lande, étaient rabougris et pelés. L’aspect de ce lieu remplissait l’âme d’une vague tristesse. Nous fûmes reçus par un vieux bonhomme qui paraissait monter la garde autour de la maison. À l’intérieur, les pièces étaient spacieuses et meublées avec une élégance qui trahissait le bon goût de la maîtresse de la maison. Tandis que, par la fenêtre entr’ouverte, je jetais un coup d’œil sur le paysage sauvage qui se déroulait devant moi, je me demandais quelle raison avait amené dans ce pays perdu cet homme d’un esprit cultivé et cette superbe créature.
A short walk brought us to it, a bleak moorland house, once the farm of some grazier in the old prosperous days, but now put into repair and turned into a modern dwelling. An orchard surrounded it, but the trees, as is usual upon the moor, were stunted and nipped, and the effect of the whole place was mean and melancholy. We were admitted by a strange, wizened, rusty-coated old manservant, who seemed in keeping with the house. Inside, however, there were large rooms furnished with an elegance in which I seemed to recognize the taste of the lady. As I looked from their windows at the interminable granite-flecked moor rolling unbroken to the farthest horizon I could not but marvel at what could have brought this highly educated man and this beautiful woman to live in such a place.
« Singulier endroit pour y planter sa tente, n’est-ce pas ? fit Stapleton, répondant ainsi à ma pensée. Et cependant nous nous sommes arrangés pour y être heureux, pas, Béryl ?
"Queer spot to choose, is it not?" said he as if in answer to my thought. "And yet we manage to make ourselves fairly happy, do we not, Beryl?"
— Très heureux, répliqua la jeune fille, dont le ton me parut toutefois manquer de conviction.
"Quite happy," said she, but there was no ring of conviction in her words.
— Je dirigeais jadis une école, continua Stapleton, dans le nord de l’Angleterre…. Pour un homme de mon tempérament, la besogne était trop machinale et trop dépourvue d’intérêt. Mais j’aimais à vivre ainsi au milieu de la jeunesse, à façonner ces jeunes intelligences à ma guise et à leur inculquer mes idées et mes préférences. La malchance s’en mêla : une épidémie se déclara dans le village et trois enfants moururent. Mon établissement ne se releva jamais de ce coup et la majeure partie de mes ressources se trouva engloutie. Si je ne regrettais la charmante compagnie de mes écoliers, je me réjouirais de cet incident. Avec mon amour immodéré pour la botanique et la zoologie, je rencontrerais difficilement un champ plus ouvert à nos recherches, car ma sœur est aussi éprise que moi des choses de la nature. Ceci, docteur Watson, répond à une question que j’ai lue sur votre visage, pendant que vous regardiez sur la lande.
"I had a school," said Stapleton. "It was in the north country. The work to a man of my temperament was mechanical and uninteresting, but the privilege of living with youth, of helping to mould those young minds, and of impressing them with one's own character and ideals, was very dear to me. However, the fates were against us. A serious epidemic broke out in the school and three of the boys died. It never recovered from the blow, and much of my capital was irretrievably swallowed up. And yet, if it were not for the loss of the charming companionship of the boys, I could rejoice over my own misfortune, for, with my strong tastes for botany and zoology, I find an unlimited field of work here, and my sister is as devoted to Nature as I am. All this, Dr. Watson, has been brought upon your head by your expression as you surveyed the moor out of our window."
— Je me disais, en effet, que ce séjour devait être bien triste, sinon pour vous, du moins pour votre sœur.
"It certainly did cross my mind that it might be a little dull--less for you, perhaps, than for your sister."
— Non, non, dit vivement miss Stapleton ; je ne connais pas la tristesse.
"No, no, I am never dull," said she, quickly.
— Nous avons nos études, nos livres et de bons voisins, paraphrasa mon hôte. Le docteur Mortimer est un véritable savant…. Puis nous possédions dans ce pauvre sir Charles un délicieux compagnon. Nous l’appréciions beaucoup, et nous ressentons plus que je ne puis le dire le vide causé par sa mort…. Serais-je indiscret en me présentant cet après-midi au château pour rendre visite à sir Henry ?
"We have books, we have our studies, and we have interesting neighbours. Dr. Mortimer is a most learned man in his own line. Poor Sir Charles was also an admirable companion. We knew him well, and miss him more than I can tell. Do you think that I should intrude if I were to call this afternoon and make the acquaintance of Sir Henry?"
— Je suis sûr que vous lui ferez le plus grand plaisir.
"I am sure that he would be delighted."
— Alors prévenez-le de ma venue. Nous nous emploierons de tout notre pouvoir pour qu’il s’habitue ici…. Désirez-vous, docteur Watson, visiter ma collection de lépidoptères ? Je ne crois pas qu’il en existe de plus complète dans tout le sud de l’Angleterre. Pendant que vous l’admirerez on nous préparera un lunch. »
"Then perhaps you would mention that I propose to do so. We may in our humble way do something to make things more easy for him until he becomes accustomed to his new surroundings. Will you come upstairs, Dr. Watson, and inspect my collection of Lepidoptera? I think it is the most complete one in the south-west of England. By the time that you have looked through them lunch will be almost ready."
J’avais hâte de reprendre auprès de sir Henry mes fonctions de garde du corps. D’ailleurs, la solitude de la lande, la mort du malheureux cheval aspiré par la fondrière, le bruit étrange que le public associait à l’horrible légende des Baskerville, tout cela m’étreignait le cœur. J’ajouterai encore l’impression produite par l’avis de miss Stapleton, avis si précis et si net que je ne pouvais l’attribuer qu’à quelque grave raison. Je résistai donc à toutes les instances de mon hôte et je repris, par le même étroit sentier, le chemin du château.
But I was eager to get back to my charge. The melancholy of the moor, the death of the unfortunate pony, the weird sound which had been associated with the grim legend of the Baskervilles, all these things tinged my thoughts with sadness. Then on the top of these more or less vague impressions there had come the definite and distinct warning of Miss Stapleton, delivered with such intense earnestness that I could not doubt that some grave and deep reason lay behind it. I resisted all pressure to stay for lunch, and I set off at once upon my return journey, taking the grass-grown path by which we had come.
Mais il devait exister un raccourci connu des habitants du pays, car, avant que j’eusse rejoint la grande route, je fus très étonné de voir miss Stapleton, assise sur un quartier de roche, au croisement de deux voies. Elle avait marché très vite, et la précipitation de la course avait empourpré ses joues.
It seems, however, that there must have been some short cut for those who knew it, for before I had reached the road I was astounded to see Miss Stapleton sitting upon a rock by the side of the track. Her face was beautifully flushed with her exertions, and she held her hand to her side.
« J’ai couru de toutes mes forces afin de vous devancer, me dit-elle. Je n’ai même pas pris le temps de mettre mon chapeau…. Je ne m’arrête pas…. Mon frère s’apercevrait de mon absence. Je voulais vous dire combien je déplorais la stupide erreur que j’ai commise en vous confondant avec sir Henry. Oubliez mes paroles, elles ne vous concernent en rien.
"I have run all the way in order to cut you off, Dr. Watson," said she. "I had not even time to put on my hat. I must not stop, or my brother may miss me. I wanted to say to you how sorry I am about the stupid mistake I made in thinking that you were Sir Henry. Please forget the words I said, which have no application whatever to you."
— Comment les oublierais-je, miss Stapleton, répliquai-je. Je suis l’ami de sir Henry, et le souci de sa sécurité m’incombe tout particulièrement. Apprenez-moi pourquoi vous souhaitiez si ardemment qu’il retournât à Londres.
"But I can't forget them, Miss Stapleton," said I. "I am Sir Henry's friend, and his welfare is a very close concern of mine. Tell me why it was that you were so eager that Sir Henry should return to London."
— Caprice de femme, docteur Watson ! Lorsque vous me connaîtrez davantage, vous comprendrez que je ne puisse pas toujours fournir l’explication de mes paroles ou de mes actes.
"A woman's whim, Dr. Watson. When you know me better you will understand that I cannot always give reasons for what I say or do."
— Non, non…. Je me rappelle le frémissement de votre voix, l’expression de votre regard…. Je vous en prie, je vous en supplie, soyez franche, miss Stapleton ! Depuis que j’ai posé le pied sur ce pays, je me sens environné de mystères. La vie sur la lande ressemble à la fondrière de Grimpen : elle est parsemée d’îlots de verdure auprès desquels l’abîme vous guette, et aucun guide ne s’offre à vous éloigner du danger. Que vouliez-vous dire ? Apprenez-le-moi et je vous promets de communiquer votre avertissement à sir Henry. »
"No, no. I remember the thrill in your voice. I remember the look in your eyes. Please, please, be frank with me, Miss Stapleton, for ever since I have been here I have been conscious of shadows all round me. Life has become like that great Grimpen Mire, with little green patches everywhere into which one may sink and with no guide to point the track. Tell me then what it was that you meant, and I will promise to convey your warning to Sir Henry."
Pendant une minute, un combat se livra dans l’âme de la jeune fille. Toutefois, ses traits avaient repris leur expression résolue, lorsqu’elle me répondit :
An expression of irresolution passed for an instant over her face, but her eyes had hardened again when she answered me.
« Vous prêtez à mes paroles plus d’importance qu’elles n’en comportent. La mort de sir Charles nous a très vivement impressionnés, mon frère et moi. Nous étions très liés…. Sa promenade favorite consistait à se rendre chez nous par la lande. Cette espèce de sort qui pesait sur sa famille hantait son cerveau, et, lorsque se produisit le tragique événement, je crus ses craintes fondées jusqu’à un certain point. Quand on annonça qu’un nouveau membre de la famille Baskerville allait habiter le château, mes appréhensions se réveillèrent et j’ai pensé bien faire en le prévenant du danger qu’il courait. Voilà le mobile auquel j’ai obéi.
"You make too much of it, Dr. Watson," said she. "My brother and I were very much shocked by the death of Sir Charles. We knew him very intimately, for his favourite walk was over the moor to our house. He was deeply impressed with the curse which hung over the family, and when this tragedy came I naturally felt that there must be some grounds for the fears which he had expressed. I was distressed therefore when another member of the family came down to live here, and I felt that he should be warned of the danger which he will run. That was all which I intended to convey.
— Mais quel est ce danger ?
"But what is the danger?"
— Vous connaissez bien l’histoire du chien ?
"You know the story of the hound?"
— Je n’ajoute aucune foi à de pareilles absurdités.
"I do not believe in such nonsense."
— J’en ajoute, moi. Si vous possédez quelque influence sur sir Henry, emmenez-le loin de ce pays qui a déjà été si fatal à sa famille. Le monde est grand…. Pourquoi s’obstinerait-il à vivre au milieu du péril ?
"But I do. If you have any influence with Sir Henry, take him away from a place which has always been fatal to his family. The world is wide. Why should he wish to live at the place of danger?"
— Précisément parce qu’il y a du péril. Sir Henry est ainsi fait. Je crains qu’à moins d’un avis plus motivé que celui que vous m’avez donné il ne me soit impossible de le déterminer à partir.
"Because it is the place of danger. That is Sir Henry's nature. I fear that unless you can give me some more definite information than this it would be impossible to get him to move."
— Je ne puis vous dire autre chose,… je ne sais rien de précis.
"I cannot say anything definite, for I do not know anything definite."
— Me permettez-vous de vous adresser une dernière question, miss Stapleton ? Quand vous m’avez parlé tout à l’heure, puisqu’il vous était impossible de m’en apprendre davantage, pourquoi redoutiez-vous tant que votre frère ne vous entendît. Il n’y avait rien dans vos paroles que ni lui — ni personne d’ailleurs — ne pût écouter.
"I would ask you one more question, Miss Stapleton. If you meant no more than this when you first spoke to me, why should you not wish your brother to overhear what you said? There is nothing to which he, or anyone else, could object."
— Mon frère désire que le château soit habité ; il estime que le bonheur des pauvres gens de la lande l’exige. Tout avis poussant sir Henry à s’éloigner l’aurait mécontenté…. J’ai accompli maintenant mon devoir et je n’ajouterai plus un mot. Je retourne vite à la maison pour que mon frère ne se doute pas que avons causé ensemble. Adieu. » Miss Stapleton reprit le chemin par lequel elle était venue, tandis que, le cœur oppressé de vagues alarmes, je continuais ma route vers le château.
"My brother is very anxious to have the Hall inhabited, for he thinks it is for the good of the poor folk upon the moor. He would be very angry if he knew that I have said anything which might induce Sir Henry to go away. But I have done my duty now and I will say no more. I must get back, or he will miss me and suspect that I have seen you. Good-bye!" She turned and had disappeared in a few minutes among the scattered boulders, while I, with my soul full of vague fears, pursued my way to Baskerville Hall.